Globalisation néo-libérale, démocratie et résistances

Le cas du Grand Marché Transatlantique

Avant-propos

« Après l’effondrement du totalitarisme étatique en URSS, un nouveau totalitarisme émergeait : celui des marchés. Contrairement à la comptine journalistique, il ne découle pas d’une évolution inéluctable, mais de choix politiques délibérés effectués par tous les gouvernements occidentaux ». Cette fronde provocante, menée par les chercheurs Raoul Marc Jennar et Laurence Kalafatidès contre la canonnière libérale, est tirée de l’ouvrage « AGCS. Quand les Etats Abdiquent Face Aux Multinationales » parues aux Éditions Raisons d’Agir, fondée par Pierre Bourdieu. En exposant le risque totalitaire d’une globalisation synonyme de dérégulation des marchés, les deux auteurs condamnent l’Accord Général sur le Commerce et les Services qui tend à libéraliser le secteur des services publics :  de la santé à l’éducation en passant par l’accès à l’eau potable. En 2004, une mobilisation globale freinait les tractations secrètes pour la mise en œuvre de cet accord. Dix ans plus tard, le Grand Marché Transatlantique (GMT) entend aller encore plus loin dans l’extension du néo-libéralisme sur le continent européen, et rencontre, une nouvelle fois, des résistances sans précédent. L’histoire se répète.

Introduction

Le traité transatlantique est l’expression même du néo-libéralisme. Pour s’en convaincre et pour apprécier les conséquences d’un tel ancrage idéologique, il convient de revenir sur les motivations sous-jacentes du Grand Marché Transatlantique.

TAFTA : genèse d’une victoire annoncée de la globalisation néo-libérale

De puissants soutiens

Récemment, Philippe de Villiers a été invité sur tous les plateaux-télé pour la promotion de son dernier ouvrage. Nonobstant les opinions politiques, il est intéressant de revenir sur son témoignage. Il y affirme à TV Libertés, avoir assisté à une réunion de la Commission Trilatérale, en 2007, présidée par l’influent Brzezinski au sein des locaux du Parlement européen. Les propos tenus devant plus de 400 personnalités du monde politique et industriel évoquaient notamment la « destruction de l’homogénéité des nations » et l’objectif d’un « traité transatlantique » servant de pont à l’édification d’un « marché planétaire de masse ». Au côté de ce puissant club de discussion, le forum Trans-Atlantic Business Council s’évertue à aménuiser l’interférence des pouvoirs publics dans les relations commerciales transcontinentales. Il assure la promotion depuis de nombreuses années d’un tel accord, entérinant la perspective d’un marché échappant aux contraintes législatives et démocratiques nationales.

Le leitmotiv géopolitique du Grand Marché Transatlantique

La donne géopolitique ne doit pas être sous-estimée, car, couplé au partenariat transpacifique, le traité transatlantique s’inscrit évidemment dans une stratégie américaine de contrôle global des marchés afin de contrer la rapprochement croissant des puissances Eurasiennes. Accord Général sur le Commerce et les Services, Trade In Service Agreement, Accord multilatéral sur l’investissement… sont autant de façon de renforcer la puissance économique américaine en misant sur l’isolement des puissances concurrentes. La somme de ces traité joue le rôle de faire valoir des règlementations occidentales auprès des acteurs de la mondialisation, et plus particulièrement de la Chine. A travers notamment l’Organisation Mondiale du Commerce, l’objectif de cette homogénéisation des normes est de constituer un groupe de pression incroyablement puissant, regroupant plus de la moitié des richesses du monde, et capable de maintenir l’hégémonie américaine dans la régulation du système international. Cette motivation devient de plus en plus urgente, au fur et à mesure que des institutions concurrentes – la Banque d’Investissement Asiatique – et que des accords bilatéraux contestent la superpuissance américaine.

Le leitmotiv économique du Grand Marché Transatlantique

Le traité transatlantique se différencie de ses prédécesseurs pour qui l’ennemi principal était les barrières douanières. Considérées par le représentant américain au commerce comme « déjà assez basses », les contraintes aux frontières ne constituent plus l’enjeu principal des négociations. Désormais, dans une logique d’approfondissement du néo-libéralisme, il s’agit d’assurer « l’élimination, la réduction ou la prévention des politiques nationales superflues » (idem). L’interprétation de ces « politiques nationales superflues » est si large qu’elle peut à la fois décourager toute volonté de régulation de la finance, mais aussi désarmer l’ensemble des protections sociales, les mesures de protection de l’environnement, ou encore tout projet visant à accroitre le rôle du citoyen et son contrôle démocratique sur la politique. La menace que fait peser l’ambition de la logique néo-libérale sur la démocratie est parfaitement résumée par les confidences de David Rockefeller au magazine américain Newsweek : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire »

Néolibéralisme et dé-démocratisation

La logique néo-libérale n’est ni plus ni moins que l’extension des logiques marchandes capitalistes à toutes les dimensions de la vie humaine. Comme en témoigne les politiques d’austérités imposées au besoin par l’étranglement monétaire et la négation de choix démocratiques, le cœur du néo-libéralisme entend substituer le raisonnement d’un gestionnaire et les préoccupations économiques à toutes considérations se référant à l’humain, à la justice, au sacré, et évidemment aux pratiques démocratiques. La raison néo-libérale formate progressivement un homo œconomicus intégré dans une société anti-politique, sacrifiant la figure d’un citoyen réduit à l’état de capital humain, promouvant la financiarisation de l’indispensable et l’édiction de l’impuissance publique car démantelée et gouvernée par l’endettement et obnubilé l’objectif d’une sainte croissance économique. Pour bien comprendre les enjeux de l’enterrement brutale du rêve démocratique par le néo-libéralisme, l’analyse de Wendy Brown est indispensable, notamment lorsqu’elle met en avant la glissement sournois de l’essor du libéralisme vers l’enfermement aux logiques néo-libérales  : « de façon tout à fait perverse, le sujet jadis séduit par la promesse d’émancipation radicale de la raison néolibérale en est désormais réduit à voir son destin et son orientation morale liés organiquement à un projet macro-économique et à faire le sacrifice de son existence au nom de ce projet ». Désormais, le citoyen « peut être sacrifié, privé d’emploi ou réduit à la famine dès qu’il cesse de contribuer au projet de la nation-entreprise, ou bien lorsque ce projet ne peut tout simplement plus lui garantir le bénéfice d’une assurance maladie, d’une retraite, d’une éducation, ni une quantité minimale d’air pur, d’eau potable ou d’espaces verts, remettant ainsi en question son existence même » (idem).

Embourbé dans ce projet de gouvernance néo-libérale et d’économisation de la politique, le traité transatlantique annonce les nouveaux contours de la globalisation. Cependant, l’opposition croissante de collectivités, d’associations, et de citoyens préfigure aussi une contestation globale des négociations secrètes menées par la commission européenne.

Contestation, actions et résistances : les Européens se lèvent contre le GMT

Alors même que le Parlement Européen s’est récemment accordé pour soutenir le projet transatlantique, les mobilisations en Europe prennent une ampleur historique.

Une mobilisation historique

Le samedi 10 octobre 2015, l’opposition au traité transatlantique faisait vibrer toute l’Allemagne en réunissant la plus grande manifestation à Berlin – entre 150 000 et 200 000  manifestants – depuis les mobilisations pacifiques contre la guerre en Irak. Le lendemain, ce sont pas moins de 1100 marches, réunions, sensibilisations, et collectes de signatures pour une pétition inédite qui ont eu lieu dans 22 pays de l’Union Européenne. Fédérer autant de protestations sur un sujet aussi complexe que le traité transatlantique relève du tour de force. Mais la vivacité de l’engagement européen peut s’expliquer par la très forte méfiance des citoyens vis-à-vis de TAFTA : une consultation publique à l’initiative de la direction générale du commerce témoignait d’un avis négatif à plus de 97% des voix exprimée.

Les collectivités territoriales entrent dans la danse

« Le conseil régional d’Ile-de-France (…) demande l’arrêt des négociation sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), dit grand marché transatlantique (GMT), du fait de l’absence de contrôle démocratique et de débat public sur les négociations en cours ». La défiance symbolique du poumon économique français vis-à-vis du marché transatlantique témoigne d’un engagement allant bien au-delà du militantisme et de la sphère individuelle. Le mouvement qui enjoint les collectivités à se déclarer « zone hors TTIP » a été rejoins par près de 500 collectivités territoriales comprenant 54% de la population française.

La Commission européenne : entre mépris et surdité

Comment faire entendre cette contestation massive au sein même des bureaux feutrés de la commission européenne ? Une Initiative collective européenne, rassemblant les voix de plus d’un million d’Européens, comptabilisant au moins 7 pays membres, a été déposée auprès de la commission européenne. Quelle a été sa réaction à l’égard d’une si grande préoccupation des citoyens ? Rejeter l’initiative au motif que les négociations n’entraient pas dans le cadre juridique légal de l’Initiative Collective Européenne. Tout au plus, la Commission européenne a lancé quelques consultations publiques, tout en se gardant bien de conférer une quelconque valeur à ses contributions : « Ce n’est pas parce que soixante contributions proposent de se débarrasser du dispositif de règlement des différends entre États et entreprises que nous suivrons leurs recommandations »  a ainsi précisé le chef de cabinet du Commissaire au commerce.

Le mépris des institutions européennes n’a contribué qu’à renforcer le mouvement. Le 7 octobre 2015, ce n’est pas moins de 3,2 millions de signatures en faveur de l’arrêt des négociations qui ont été déposées dans les bureaux de Bruxelles. La Commission européenne pourra-t-elle s’opposer à la plus grande pétition européenne jamais enregistrée ?

Mathis Buis