L’action humanitaire et la souveraineté nationale

L’homme est un pompier pyromane. Cette métaphore illustre bien la dégradation de l’environnement que l’on fait subir à notre planète. La majorité des crises humanitaires trouvent leurs origines dans les activités humaines et parfois même, dans l’inaction de ces derniers. L’action humanitaire vise en premier lieu à sauver la vie et la dignité des êtres humains. En effet, une notion d’urgence imprègne l’idée de l’action humanitaire. Cependant, celles-ci doivent également envisager des opérations de préventions, sans lesquelles une catastrophe se produirait.

L’action humanitaire, et plus particulièrement les hommes qui en font la promotion et assure sa réalisation, jouit d’un statut social particulier, au même titre que les guérisseurs ou les enseignants. Cette aura leur permet d’accéder à un espace fermé à l’action politique nationale et internationale, sujette à suspicions et souvent à l’origine même des problèmes qu’elle prétend règler. L’action intrusive, quand bien même elle est une aide nécessaire et bienvenue, reste en opposition avec la logique du système international actuelle encore anarchique et stato-centré. Certes les États coopèrent, mais ils restent jaloux de leurs souverainetés, soucieux de leur survie, et à chacun à son échelle, attentifs à l’accroissement de leur pouvoir. Ainsi, l’action humanitaire peut être perçue soit comme une violation, soit comme un aveu de faiblesse des États. C’est une vision réaliste, mais encore d’actualité, qui ne doit cependant pas servir de seule base d’analyse.

Malgré le prestige, l’universalité de l’action humanitaire et l’intégration du principe d‘aide dans la majorité des religions et cultures mondiales, il n’est jamais aisé de faire de l’humanitaire. L’investissement gouvernemental, notamment des pays occidentaux, dans le champ humanitaire brouille en effet les séparations entre politique subjective et intéressée, et l’humanitaire plus objectif, universaliste, et désintéressé. L’humanitaire se doit d’apporter une aide inconditionnée à ceux qui en ont besoin, sans jugements de valeur que l’on peut porter à l’égard de ces derniers. D’un point de vue pragmatique, blâmer un acteur peut se montrer contre-productif du point de vue de l’aide sur le terrain. Se mettre à dos un gouvernement ou un groupe rebelle en l’accusant ouvertement pourrait porter préjudice à des populations en besoins, car l’on se trouverait défendu ou dans l’impossibilité sécuritaire de les aider. Fort heureusement, le Droit International Humanitaire se construit sur cette notion. Une notion qui peut cependant attirer des critiques aux acteurs de l’humanitaire.

Cette nécessité explique les positions très complexes que doivent entretenir les acteurs de la solidarité et de l’humanitaire, avec certains groupes ou États peu scrupuleux. Ils se trouvent entre une nécessité d’aide, de résoudre les problèmes tout en traitant avec les sources de ceux-ci. Une contradiction qui ne doit pas servir d’argument dégradant les actions humanitaires et leurs acteurs. En effet, la loi de la nécessité et sa prééminence sur la défense de nos valeurs subjectives (de Droits de l’Homme par exemple) doit rester la norme de l’action humanitaire.

Omar Tarabay

Injustices Climatiques

A deux mois de la conférence climat, Contretemps-web a rencontré Julien Rivoire, responsable syndical à la FSU et un des animateurs de la coalition climat 21 qui coordonne les mobilisations en préparation. Il décrypte pour nous les enjeux de cet événement et les défis que pose la question du climat à la gauche et aux mouvements.

Contretemps. Du 30 novembre au 11 décembre prochain, le gouvernement français accueillera à Paris la vingt-et-unième Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 avec pour ambition d’atteindre « un accord universel sur le climat ». Comment cet objectif se situe t-il par rapport l’évolution du changement climatique ?  Dans quelle configuration géopolitique s’inscrit-il ? 

L’expression « d’accord universel » est un simple habillage de communicant destiné à masquer la vacuité des négociations en cours. La réalité c’est que les dirigeants politiques et économiques mondiaux ne sont pas à la hauteur de ce qui est sans doute le plus grand défi de notre époque ; par manque de courage et de vision, il gaspille un temps précieux, repoussant au maximum une restructuration de nos économies inéluctable. Les mesures à prendre sont pourtant connues : limiter drastiquement les extractions d’hydrocarbures, déployer des investissements publics massifs dans la sobriété énergétique et les renouvelables et, last but not least, lancer un programme de création d’emplois mobilisant immédiatement toutes les énergies disponibles pour limiter notre consommation d’énergie et redéployer nos modes de production et de consommation.

Dans le cadre des négociations multilatérales, un accord répondant a minima aux préconisations du dernier rapport du GIEC  devrait contenir trois éléments : premièrement, la définitions d’objectifs de réduction d’émissions adossé à des engagements sur les modalités de la transition énergétique; deuxièmement, des mesures de compensation et de soutien financier en faveur des pays les plus affectés et, troisièmement, un cadre de suivi de la mise en œuvre des accords. Au final, le texte qui sera soumis aux discussions en décembre va principalement porter sur ce troisième volet, se contentant pour les deux premiers volets de recenser les déclarations d’intention des États. Le point clé est le refus de mettre en place un mécanisme juridiquement contraignant les engagements. C’est donc un esprit libéral qui inspire le processus onusien : la croyance en « la saine émulation » entre États et le recours aux mécanismes de marché pour espérer retrouver l’équilibre climatique.

Parvenir à des réductions des émissions permettant de limiter la hausse de température à 2°C à l’horizon 2100 est évidemment l’enjeu crucial. Pour y parvenir, nous savons qu’il faudrait laisser dans les sols près de 80% des ressources fossiles connues. Cela implique une action immédiate et résolue en faveur de la sobriété énergétique et de la reconversion de nos systèmes énergétiques vers les ressources renouvelables. Or, le processus de la COP bute sur le poids des lobbys et la logique libérale empêchant l’humanité de s’engager résolument dans cette voie. Par exemple, dans le texte actuel, le principe retenu est celui d’une décarbonisation de l’économie à l’horizon 2050, ce qui équivaut à un solde net nul d’émission de Gaz à effet de serre (GES) : la fuite en avant dans la production d’énergie fossile serait possible si les émissions de GES étaient capturées. On comprend bien pourquoi les multinationales du secteur fossile font la promotion du « charbon propre », en surfant sur l’illusion technologique pour éviter toute remise en cause de leur source de profit. Outre que ces techniques incertaines ne supprimeront qu’une infime partie des émissions de gaz à effet de serre, elles nécessiteraient des investissements colossaux au détriment du développement des énergies renouvelables. Autre problème, les négociations ne portent pas sur les engagements des différents pays ! Chaque État annonce séparément ses objectifs au cours de l’année 2015, et la COP ne fera qu’entériner cette somme. En l’état des objectifs rendus publics, nous nous situons sur une trajectoire de hausse de 3,5 à 4°C des températures d’ici la fin du siècle, très loin de la limite de 2°C de réchauffement qui permettrait de limiter l’ampleur des destructions attendues du changement climatique.

Depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992, la responsabilité historique des pays riches dans les émissions de GES – et donc du dérèglement climatique – est reconnue à travers le principe de responsabilité commune mais différencié. Cet acquis du processus de négociation onusien a pour conséquence que les pays riches doivent assumer un effort plus important dans le processus d’ajustement en cours, tant en terme de réduction d’émissions que de financement de l’adaptation au profit des pays les plus pauvres qui sont également les pays les plus exposés. C’est dans cette logique qu’a été décidée à Copenhague, en 2009, la constitution d’un fonds vert en faveur qui vise, d’une part, à soutenir les pays du Sud qui doivent déjà faire face aux conséquences du dérèglement climatique et, d’autre part, leur permettre de « sauter l’étape carbone » du développement économique en passant directement aux énergies renouvelables. Ce fond doit être financé par les pays riches à hauteur de 100 milliards par an à l’horizon 2020. A l’étape actuelle, seul 1/10ième des ressources nécessaires ont été engagées…

Le troisième axe de négociation concerne l’effectivité, la transparence et la comparabilité des progrès accomplis par l’ensemble des pays. Il s’agit de trouver un accord sur les mécanismes de suivi des engagements : même date de départ pour mesurer les baisses de GES par exemple, ou accord sur les unités de mesure. Il s’agit également d’élaborer un mécanisme de « revoyure », indiquant le rythme d’études de ces engagements. Vu la faiblesse des contributions et des efforts annoncés par les États, les organisations de la société civile veulent que soit intégré dans le texte le principe de « cycles d’engagements » permettant que tous les 4 ou 5 ans les États se retrouvent à la table pour négocier de nouveaux objectifs avec un « effet cliquet » qui ne permettrait que des révisions à la hausse les engagements précédents. Mais même cette proposition risque de se heurter au refus d’un certain nombre d’États (entre autres les États-Unis et la Chine, parmi les plus gros pollueurs) qui refusent toute dimension contraignante à l’accord.

Au final, cette 21e conférence onusienne sur le climat risque d’accoucher d’une souris, alors que nous avons besoin d’un accord multilatéral ambitieux. L’alternative ne réside pas uniquement dans des avancées qui seraient imposées au sein de quelques pays. Encore moins dans des « accords bilatéraux », à l’image de celui conclu entre la Chine et les USA en novembre 2014. Les pays les plus pauvres seraient les premiers à en faire les frais. Par exemple, même si le fonds vert est loin d’être actuellement à la hauteur, un mécanisme de transfert financier des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres est essentiel pour ces derniers. Or, un tel fonds ne peut être imposé que dans un cadre multilatéral.

Tu participes à l’animation de la coalition climat 21 qui regroupe de nombreux mouvements sociaux et organisations non-gouvernementales. Peux-tu nous décrire cette coalition et ses objectifs, mais aussi nous expliquer les débats qui la traversent? 

La Coalition climat 21 regroupe aujourd’hui plus de 140 organisations : associations ou ONGs environnementales, mouvements sociaux et altermondialistes, syndicats, associations de solidarité Nord/Sud et mouvements d’éducation populaire se retrouvent pour construire ensemble la mobilisation. Cette convergence entre mouvements aux histoires, cultures et préoccupations si différentes ne va pas de soi, mais elle est le fruit d’une récente histoire commune.

Les mobilisations sur les questions climatiques – chaines humaines, camps climats, sommets alternatifs, etc. – se sont multipliées depuis deux décennies, sans pour autant atteindre des niveaux massifs. La Haye, en 2000, puis Copenhague où 100 000 manifestant•e•s ont défilé en 2009 à l’occasion de la COP sont parmi les évènements les plus importants en termes de nombre de manifestant•e•s. Mais en dépit de cette massification du mouvement pour la justice climatique, et de la puissance de luttes emblématiques comme celle contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, le mouvement n’a pas encore réussi à se développer au même rythme que la prise de conscience de l’importance des enjeux climatiques.

Les mobilisations des années 2000 se sont structurées autour de deux principaux réseaux. Le premier, une grande coalition internationale d’organisation environnementalistes, le Climate Action Network (CAN) regroupant près de 350 ONGs (dont Greenpeace ou Oxfam par exemple) et dont l’antenne en France est le Réseau Action Climat (RAC). La seconde coalition, qui se veut plus radicale, est le Climate justice network (CJN), auquel participe Attac ou les Amis de la Terre. Celle-ci était notamment à l’initiative du Klimaforum et d’actions directes non-violentes à Copenhague.

Les divergences entre ces mouvements à l’époque se sont cristallisées à trois niveaux. Au niveau stratégique, le CAN misait sur le travail de lobbying avec l’objectif de convaincre les gouvernements et se concentrait sur l’organisation de la mobilisation dans l’enceinte de la négociation. Le CJN, bien que pour partie accrédité par les Nations-Unies et donc présent dans l’enceinte de la conférence a développé prioritairement une stratégie de mobilisation de rue, à l’extérieur de la COP. Le second point d’achoppement était programmatique : les solutions défendues par ces deux coalitions se différencient  par une analyse différente du lien entre questions climatiques et système capitaliste mondialisé. Pour les organisations du CAN, la priorité étant la question climatique, il s’agissait de défendre des solutions intégrables immédiatement au système, tels les mécanismes de marché carbone. Pour CJN, les réponses à apporter au dérèglement climatique nécessitaient un bouleversement systémique (d’où le slogan « System change, Not climate change »). Le troisième niveau de distinction était géostratégique. Chaque coalition avait ses alliés dans l’enceinte.  Le CAN dessinait la ligne de fracture pertinente entre l’Union Européenne et ses alliés, pensant qu’ils seraient susceptibles de porter des « solutions vertes », compatibles avec le système, en opposition aux USA et à la Chine représentant les forces conservatrices. Pour CJN, les pays traversés par les processus de la révolution bolivarienne, notamment la Bolivie et l’Equateur semblaient représenter un mouvement porteur de solutions de rupture avec le néolibéralisme et le développement productiviste.

Cependant,  l’absence de progrès substantiel à  Copenhague a fait bouger les lignes et permis une convergence entre ces deux grands réseaux. L’année 2014 l’a confirmé : depuis New-York en septembre, en passant par le Pérou (COP20) et jusqu’au sein de la coalition française Climat 21, les coalitions nationales regroupent à chaque fois l’ensemble de ces acteurs et en accueillent de nouveaux avec, notamment, la présence d’organisations syndicales et l’implication dans les coordinations internationales de la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Les causes de ce  rapprochement et de cet élargissement sont doubles. D’une part, les  « Etats – alliés »  ont déçu, et ce des deux côtés. Les positions du Vénézuela, de la Bolivie ou de l’Equateur ont changé, notamment en développant des projets extractivistes, et l’UE, au vu de ses positions actuelles et de l’insuffisance de ses engagements, ne peut plus donner l’illusion d’être la force progressiste sur la question climatique à même d’entraîner les autres. De cette double déception découle une conclusion commune. Sans mobilisation sociale, aucune avancée significative ne sera possible. En bref, cette convergence est le fruit des échecs de chacun. Bien sûr, elle n’épuise pas les nuances dans les méthodes d’action, et la persistance d’une action de plaidoyer au sein des négociations pour certain.e.s. Mais tous s’accordent sur le caractère décisif d’une mobilisation sociale pour construire un rapport de force.

Ce rapprochement entre les deux réseaux se traduit aujourd’hui par une volonté de construire une combativité commune pour 2015 et au delà, autour de trois idées : 1/ les solutions ne viennent pas que « d’en haut » et des alternatives existent, pour certaines elles sont déjà en marche et portées par des mouvements locaux. Il ne s’agit donc pas d’attendre que les États veuillent bien prendre leur responsabilité pour agir. En France, c’est aujourd’hui principalement la dynamique Alternatiba qui catalyse cette idée ; 2/ Le changement climatique ne tombe pas du ciel, il y a des responsables qui sont les multinationales et les États. Pointer des coupables a un double effet positif : le discours fataliste n’est pas de mise puisque les causes sont identifiées et le mouvement se dote par là même de « cibles » communes ; 3/ il y a accord pour affirmer d’ores et déjà que la mobilisation ne s’arrêtera pas à la cop21. C’est un des acquis, malheureux, des échecs répétés des différentes COP, et de la désillusion des mouvements les plus insérés dans ce processus onusien.

Ces convergences sont extrêmement importantes car elles permettent l’impulsion de dynamiques de mobilisations larges. Bien évidemment, elles n’épuisent pas pour autant des désaccords, sur la nécessité ou non d’un bouleversement du système pour répondre à la crise climatique et, ce qui en découle, des nuances plus ou moins fortes vis à vis des solutions de marché.

La mobilisation qui se prépare s’annonce massive. On évoque la perspective d’une grande manifestation de centaines de milliers de personnes et des actions de désobéissance de masse. Quelles sont les échéances qui vont rythmer la préparation de cette marche ? Y a t-il d’autre initiatives prévues pendant la conférence ? 

A la veille de l’ouverture officielle de la COP, des centaines de mouvements par delà le monde appellent à prendre la rue dans les capitales et grandes villes du monde. Il s’agit de pointer les responsabilités des politiques nationales et ne pas se faire piéger par les déclarations de bonnes intentions qui ne manqueront pas jusqu’au sommet. Un accord international, pour peu qu’il soit ambitieux, deviendrait totalement insuffisant en l’absence de déclinaisons concrètes dans les politiques nationales. Les initiatives organisées le week-end des 28 et 29 novembre ont ainsi pour objectif de rappeler chacun des gouvernements à ses propres responsabilités. Une grande manifestation aura lieu à Paris ainsi que dans les grandes métropoles. Il s’agit, comme l’a été le 15 février 2003 pour le mouvement anti-guerre, d’un évènement où des centaines de milliers d’hommes et de femmes manifestent dans un très grands nombre de villes leur colère face aux responsables du dérèglement climatique, qu’ils prennent à cette occasion conscience de leur force localement et globalement et qu’il s’appuient ensuite sur ce succès pour construire un mouvement pérenne.

Plusieurs initiatives vont rythmer les mois précédents cette marche mondiale pour le climat. En France, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont convergées les 26 et 27 septembre à l’occasion d’un Alternatiba à Paris. Une réunion de convergence des réseaux internationaux a lieu début octobre. Un appel à des mobilisations dans les universités le 14 octobre circule également. Mais au delà d’initiatives propres à la question climatique, le défi à relever est d’être capable d’articuler cette question avec d’autres mobilisations: lors des marches européennes contre l’austérité mi-octobre qui convergeront à Bruxelles à l’occasion d’un sommet de l’UE du 15 au 17, au sein de la campagne stop-tafta, dans nos revendications pour lutter contre le chômage en créant les emplois climatiques nécessaires à la transition etc…

En décembre, la mobilisation ne se limitera pas à une grande manifestation. Des espaces de débats, de préparation d’actions et un village mondial des alternatives seront mis en place le WE des 5 et 6 décembre à Montreuil. Une Zone d’Action Climat (la ZAC) prendra place au 104, à Paris, la semaine suivante. Cet espace sera autant dédié au grand public, notamment en journée, qu’aux militant.e.s internationaux qui se réuniront en fin de journée pour tenir des assemblées quotidiennes, faire le point sur l’état des négociations au Bourget, mais aussi sur les actions organisées au cours de la semaine. Nous terminerons ensemble, le 12 décembre par une journée d’actions et de rassemblement pour la justice climatique, afin d’incarner dans l’action la double dimension de résistance et d’alternatives du mouvement naissant : notre commune résistance face aux responsables et profiteurs d’un système inique et climaticide, notre capacité à construire un désir de transformation sociale et à faire vivre nos utopies.

Le dynamisme de cette mobilisation contraste fortement avec une relative atonie des luttes sociales dans l’hexagone depuis maintenant plusieurs années. Comment expliquez vous ce contraste ? Y a t-il des tentatives pour ancrer ce combat écologiste dans la crise sociale et politique actuelle et, en particulier, intégrer de manière systémique la critique de l’injustice climatique avec les exigences de justice sociale, les luttes contre les discriminations spacialo-raciales ou encore la dénonciation des rapports néocoloniaux d’échanges écologiques inégaux.

Le dynamisme actuel concerne en premier lieu la convergence, positive, d’organisations, de réseaux militants, et de luttes. La diversité des organisations membres de la coalition Climat 21, la dynamique autour d’Alternatiba ou l’appel venant des ZAD à converger sur Paris sont autant d’indicateurs du mouvement en marche. Mais il est pour l’instant trop tôt pour affirmer que la mobilisation de décembre permettrait de rebattre les cartes d’un contexte social et politique français sinistre, ou qu’à l’échelle mondiale le mouvement pour la justice climatique sera capable de faire revivre l’espoir « d’autres mondes possibles ». Nous devons pour l’heure nous attacher à amplifier ces prémisses, travailler à ce que la mobilisation essaime dans de larges couches de nos sociétés et que le mouvement se cristallise dans la durée, au delà des sommets internationaux, construise son propre agenda, et s’ancre dans des problématiques territoriales, à l’échelle nationale pour orienter les politiques publiques, à des échelons plus locaux pour faire naitre des alternatives concrètes, ou s’opposer à des projets inutiles. Le temps de la COP21 en décembre à Paris doit ainsi être saisi comme une occasion d’approfondir ces mouvements de convergences et d’élargissement. Mais ce n’est qu’une étape. Imaginer une suite nécessite le succès de la mobilisation de décembre, sans semer d’illusion : la question climatique ne sera pas résolue lors de la COP21 quelque soit l’ampleur de la mobilisation. Que cette mobilisation ne soit pas un feu de paille nécessite d’approfondir les questions d’orientations stratégiques et revendicatives.

A l’occasion de la manifestation de New York en septembre de l’an dernier, un des slogans était « Pour tout changer nous avons besoin de tout le monde« . « Tout changer » porte positivement en germe la nécessité d’une transformation sociale radicale, de nos modes de production et de consommation. Mais le second terme du slogan surfe sur l’illusion d’une communauté d’intérêt à voir advenir ce changement. Car, face à la question climatique, se jouent une nouvelle gamme d’affrontements sociaux politiques. Les effets du dérèglement climatique sont porteurs de nouvelles inégalités, comme nous l’a montré l’ouragan Katrina en 2005 avec ses conséquences dramatiques pour les populations afro-américaines à la Nouvelle Orléans. Les responsabilités sont aussi très distinctes entre pays du nord et pays du sud : l’empreinte écologique moyenne des pays de la zone euro est plus de deux fois supérieure à la moyenne mondiale et près de 5 fois celle de la moyenne des pays du continent africain. Mais cette comparaison cache des inégalités au sein même des pays du nord. Une étude de 2008 menée au Canada, met en évidence que l’impact environnemental des 10 % les plus riches est 2,5 fois plus important que celui des 10 % les plus pauvres. Une étude scientifique publiée en janvier 2014 dans la revue Climatic Change pointe le fait qu’à l’échelle mondiale, 90 multinationales, majoritairement dans le secteur des énergies fossiles, sont à l’origine des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre.

Il y a affrontement car il y a crime climatique. Ce crime est profitable pour ces multinationales et ces 1% de nantis dénoncés par Occupy Wall Street. Les victimes sont d’abord les plus pauvres. Dans les pays du Sud ils sont déjà plus de 300 000 à avoir perdu la vie à cause des dérèglements climatiques, ils seront 100 millions d’ici 2030 si les émissions ne sont pas drastiquement réduites. Le nombre de déplacé.e.s climatiques en 2014 a surpassé celui lié aux guerres. Dans les pays du Nord, la pollution touche d’abord les pauvres. Les classes populaires et les populations racisées vivent souvent dans les quartiers les plus sujet à la pollution, notamment industrielle. Et elles sont plus touchées en terme de mortalité : à Paris, le risque de mort lors des pics de pollution est 3,5 fois plus important dans les classes populaires.

La question des injustices climatiques doit devenir structurante, tant dans nos analyses que pour construire des revendications à même de tisser les liens avec les luttes sociales du salariat et des populations racisées. Cela implique de rompre avec le discours mainstream qui dilue les responsabilités et les rapports de domination. Certes, nous avons tous une dose de responsabilité, notamment au Nord, les modes de vie dominant étant insoutenables. Lorsque nous utilisons notre voiture plutôt que les transports en commun, par nos gaspillages, par notre rapport effréné à la consommation nous contribuons aux émissions de gaz à effet de serre. Mais cette responsabilité commune est socialement très différenciée. Si nous sommes tous sur le « même bateau », il y a ceux qui sont aux commandes, qui profitent des loisirs des ponts supérieurs pendant que d’autres sont au fond des cales à faire fonctionner les turbines. Qui peut prétendre que s’engager droit dans le mur relève d’une responsabilité commune dans nos sociétés où les droits sont aussi inégalement répartis ? D’autant que si les conséquences affecteront « tout le monde », lorsque le bateau sombre, tous n’ont pas le même accès aux canaux de sauvetages !

Il ne s’agit en aucun cas de balayer d’un revers de main la nécessité d’une responsabilisation individuelle, qui peut être un premier pas vers l’action. Les « éco gestes » et démarches concrètes à notre échelle participent de nos prises de conscience individuelle et collective, construisent notre cohérence entre la fin de nos utopies et les moyens de nos revendications immédiates, et donnent à voir et à penser ce que pourrait être une société post-transition. Mais nous devons travailler cette médiation entre la prise de conscience individuelle et l’action collective, entre l’action sur son environnement immédiat et la construction d’un rapport de force imposant des alternatives systémiques. Des alternatives répondant aux besoins sociaux et environnementaux, pour l’accès et le développement des communs que doivent devenir l’énergie et les ressources naturelles, pour la création d’emplois pour tous, le développement de services publics…Des alternatives incompatibles avec un système capitaliste dont le profit est la  boussole et le libre marché la norme.

Cet affrontement assumé implique que du mouvement contre le dérèglement climatique, un mouvement contre ses causes et ses responsables perdure. Faire, que des deux évènements sur le climat à Paris en décembre, celui des gouvernants et le nôtre, on se souvienne d’abord de celui qui prône une lutte réelle contre le dérèglement climatique et qui défende l’idée d’une véritable justice sur cette question.

Propos recueillis par Cédric Durand
Publié sur Contretemps : http://www.contretemps.eu/interviews/injustices-climatiques

La parole est à : Mme Vesnin-Chérif Aïcha

Présidente de l’association culturelle franco-tunisienne d’Oullins et du Grand Lyon

Nous avons le plaisir de vous présenter la retranscription de l’interview d’Aïcha Vesnin-Cherif, effectuée par nos soins le jeudi 29 octobre. Fondatrice d’une association de solidarité franco-tunisienne, et participante régulière à la SSI, Aïcha nous livre un témoignage humain, éclairant et d’autant plus intéressant que le pays à l’honneur cette année est la Tunisie. Bonne lecture !

Comment est né ce désir d’aide à l’intégration des tunisiens en France, dans le cadre de votre association?

Ce désir d’aide est né de mon métier originel : venir en aide à des enfants en difficulté scolaire dans des quartiers difficiles, peuplés par une grande population d’origine Maghrébine. A l’aide de parents d’enfants, nous avons créé une première association de femmes, dans laquelle je souhaitais que les femmes aient leurs propres responsabilités. Parmi ces femmes, avec lesquelles j’ai beaucoup sympathisé, certaines étaient d’origine Tunisienne, et c’est ainsi que l’histoire a commencé.

Une deuxième association a découlé de la première. Suite à mon déménagement à Oullins, des familles tunisiennes se sont montrées intéressées par le travail que je faisais dans mon précédent quartier et m’ont demandé si je pouvais venir aider les jeunes tunisiennes et tunisiens à s’intégrer dans la société. Ce fut une demande d’une amicale de tunisien, ce qui m’a mis encore plus au coeur de la communauté. Nous avons pu travailler avec les jeunes, sur l’échange de culture et monter des évènements culturels et inter-culturels sur les thèmes de la calligraphie et de l’écriture, avec des rencontres d’écrivains ou de peintres. En outre, étant dans une quartier difficile, nous nous sommes occupé de ces populations et notamment des jeunes en situation précaire.

Après plusieurs années d’activités, le réseau Silyon nous a demandé de créer un évènement sur le thème de la solidarité, lors de la semaine de la solidarité internationale, à Oullins. Nous avons donc appelé en renfort une association d’handicapés de Vaux en Velin. Il en est né une grande amitié entre les participants. Par la suite, j’ai été appelée en tant qu’écrivain pour aider un oasis en grande perdition dans le Sud de la Tunisie. Il s’agissait de trouver des solutions d’aide et de soutiens, en terme de développement durable mais aussi sur des thématique sociales, liées notamment au monde du handicap.

Enfin, après la révolution tunisienne, des femmes artisanes ont créé une association et nous avons pu les faire venir au marché de Noël de Villeurbanne. Des ateliers sur le développement durable ont été mis en places, entre handicapés et valides. L’ensemble de ces projets ont permis de mettre en forme ce désir d’intégration.

S’il fallait évoquer un souvenir fort dans votre expérience au sein de l’association culturelle franco-tunisienne, quel serait-il ?

L’amitié ! L’amitié qui a découlé de tout ces projets. En réalité, il y a deux mots : amitié et solidarité. Mais c’est l’amitié qui a été le moteur de tous ces projets. Désormais, je suis amis avec tous ces jeunes sur Facebook, et avec beaucoup de personnes et de jeunes que l’on a aidé. Je peux voir tout ce qui se passe dans leur vie par la suite. Il y là, la fondation de grandes histoires d’amitiés. Le souvenir le plus prenant c’est cette rencontre avec cette association d’handicapés. Ce fut un coup de cœur.

Comment définiriez-vous la solidarité internationale en trois mots ?

Pour moi, la solidarité internationale résumée en trois mots c’est amitié, partage, échange.

Comment l’association franco-tunisienne s’est-elle retrouvée à participer à la SSI ?

L’Association franco-tunisienne participait déjà à plusieurs mouvements, dont la francophonie. Il s’agissait d’échanges plutôt culturels. Mais vu que l’on travaillait aussi dans un quartier, dit en difficulté, nous étions en relation avec l’ex-grand Lyon. Nous nous sommes donc retrouvé avec des associations dans la même mouvance que nous. Nous étions peu de véritable associations non politisées, et nous nous sommes ainsi rapidement rapprochés de l’association des handicapés. Lorsqu’il s’agissait de parler et de mettre en valeur la Tunisie, on retrouvait souvent les mêmes. Les organisateurs de la SSI ont donc immédiatement fait appel à nous lorsqu’ils ont eu besoin d’élargir leur champs d’action, notamment dans l’animation de débats après la projection de films : par exemple sur le monde musulman après Persépolis. Peu de monde acceptait alors de participer à ces débats. Personnellement, j’ai été amené à faire trois débats en trois soirs avec le responsables de la SSI, et à l’occasion d’une discussion en voiture, il s’est trouvé qu’il avait besoin d’un référant. Or, il savait que je partais beaucoup en Tunisie, que je suivais beaucoup de régions… Les liens se sont renforcés au fur et à mesure des demandes pour des associations en rapport avec le monde arabe. Avec le climat actuel, les associations qui acceptaient de s’engager étaient assez rares.

Pour vous, qu’est que ce que cela signifie être acteur de la solidarité internationale ? Et quel impact personnel cela a sur vous ?

Je me suis toujours considérée comme une fille du monde. J’ai fait beaucoup de montagne à travers le globe. Le contact avec l’autre est très important pour moi. Je sais que l’on perd toujours un peu de soi en rencontrant l’autre. Mais je n’ai pas du tout l’impression de me perdre. Au contraire ! Ces échanges sont une richesse : on change de regard et on apprend à trouver des solutions ensemble. Depuis que je suis dans cet univers, ce que je trouve extraordinaire c’est l’évolution constante. En plus, la jeunesse des pays en développements est très active. On est obligé d’être dans un mouvement permanent. Lorsque je disais « échange », je voulais exprimer ce partage et et enrichissement mutuel au contact de l’autre.

Il faut qu’on incarne ces ponts entre les cultures. Tant qu’il y aura ces pont, on avancera, mais le jour où ces pont disparaitront, il faudra se poser des questions sur notre avenir à tous. Tant qu’il y a une jeunesse qui y croit encore, et tant que nous sommes là pour apporter notre expérience tandis qu’ils nous apporte leur force de vie, nous sommes capable de soulever des montagnes pour trouver des solutions.

Pouvez-vous revenir sur votre expérience au seins de la SSI ?

Une année, le thème était « les jeunes et la solidarité », et ne concernait donc pas spécifiquement la solidarité internationale, mais aussi la solidarité des quartiers. Ainsi, avec mes jeunes des quartiers, nous avons essayé de montrer comment ils avaient organisé une fête de quartier, comment on pouvait trouver des idées pour animer un quartier en visitant des quartiers Turcs à Bruxelles ou à Berlin. Ces visites leur ont permis de voir qu’il existait pire que ce qu’ils connaissaient et que pourtant, d’autre on fait des projets. Nous avons participé avec les jeunes à des débats très intéressants. En même temps, ils avaient un stand et ont présenté un montage. C’était important d’avoir cette reconnaissance.

Une autre année, le thème était « les saveurs du monde » et on avait participé avec du thé et des gâteaux orientaux. Lors de la toute première participation à Oullins, nous avons organisé toute une journée sur la solidarité internationale. Nous avions des stands et le dernier soir, un travail était présenté sur la Tunisie, et sur les projets déjà mis en œuvre sur le développement durable : accès à l’eau partout, handicap, accès aux téléphones… Nous avions vraiment été moteur pour les débuts de la semaine. Nous avons été formé pour ces journées avec d’autre associations, et puis, nous avons eu beaucoup de réunion avec la région Rhône Alpes sur l’organisation de l’évènement et sur le thème du développement durable. Quand on se retrouve en réunion, on retrouve d’autre associations qui on participé aux débats. Les informations et les personnes se croisent et se retrouvent. Comme la Tunisie est à l’honneur cette année, nous sommes en pleins cœur de notre activité d’association et nous aurons un stand dans la partie consacrée à la Tunisie.

Que vas changer le fait que le Tunisie soit mise à l’Honneur ? Pouvez-vous revenir concrètement sur les activités mises en place pour la promotion de la Tunisie ?

Concernant le développement durable, il va y avoir une participation à tous les débats. Pour la Tunisie même, il y aura de la musique classique Tunisienne, du chant, de la danse, et du théâtre de rue, organisé par une université en lien avec la région de Monastire. Il y aura des court métrages, montés par une association – Culture 5 – mettant en lien des jeunes de Tunisie et des jeunes français sur le cinémas. Le théâtre de rue est particulièrement important car, s’il était peu évident à mettre en place il y a quelques années, aujourd’hui cela marche mieux. Il était important de montrer ça : sur la grande place de Tunis j’ai assisté des interprétations spontanées et des sketchs sur le thème du foulard. Il y avait aussi des montages qui montraient le risque d’une population divisée en deux, et qui promouvaient le respect de l’autre, l’unité des Tunisiens de part leurs origines musulmanes, et leur appartenance à un même pays. C’est un vrai progrès que cela se fasse dans la rue, que les gens y assistent, participent et applaudissent. Il faut montrer que la jeunesse avance pour contrer les idées reçues qui peuvent prendre des proportions énormes à partir d’une toute petite phrase.

Cette année, je vais présenter le montage d’un jeune ingénieur de 22 ans à Grenoble qui fait un travail remarquable auprès des jeunes. L’Oasis des sciences, une association qui travaille avec des personnes handicapées ou non tend à montrer que tous, diplômés ou chômeur, travaillent pour la remise en route d’une oasis, notamment en terme de développement économique. Ils essayent par exemple de faire du café avec des noyaux de datte torréfiés ou de travailler le palmier afin de développer l’artisanat. C’est important de montrer que ces choses se développent.

On a écris un livre avec les jeunes sur le thème de la sauvegarde de la nature : on s’est déplacé sur des lieux expérimentaux en la matière, mais aussi chez eux, où le problème est parfois désastreux. Il s’agit de montrer ces innovations, ces jeunes qui prennent leur destin en main même si ils sont au sud et proche de la frontière Libyenne. Ce n’est pas une solution de laisser le pays à ses problème interne dès qu’une bombe explose. Au contraire, il faut lutter au côté de la jeunesse qui représente l’avenir. Quel monde leur a t-on laissé ? C’est important de montrer l’impact de cette jeunesse qui avance et qui ose. C’est peut-être le mot important, ils n’ont pas peur !

La SSI est riches en projets et en animations. L’un vous a t-il marqué plus que les autres ?

Ce qui m’a le plus marqué au sein de la SSI, et qui m’a le plus touché car je l’ai vécu de façon très difficile, ce sont les débats autours des films. La population vient pour regarder ces films vient avec des idées très précises et on se retrouve seule, face à toute une salle de cinémas, pour des débats qui durent parfois plus longtemps que les films. Ce qui m’a marqué, c’est que les gens qui viennent à ces débats, viennent avec des idées reçues mais aussi avec une volonté de recevoir des messages et d’exprimer le leur. Ce que je trouve important, c’est qu’au sein de ces évènements, les débats sont réels : ce sont parfois les seuls évènements qui permettent aux gens d’en apprendre davantage sur un pays, sur la solidarité ou de prendre conscience de leurs idée reçues. Ces débats m’ont confirmé qu’ils faut vraiment croire en ce qu’on fait, car cela donne la force d’avancer face aux idées reçues. Les gens à la tête des débats sont extraordinaires, très calmes, dotés d’une bonne connaissance des enjeux, et apportent un soutient nécessaire aux preneurs de parole. Je pense que cet évènement à Lyon, propose des activités assez uniques, notamment car le public est réellement à l’écoute. J’ai rarement vu des lieux où il se passe des choses comme ça avec le public.

Pour en revenir à Persépolis, bien que cela ne se voit pas que je suis musulmane, j’ai été amené à débattre du foulard. Et j’ai su garder ma sérénité, et attendre la fin pour déclarer : « voilà, vous m’avez eu devant vous, et je suis musulmane ». Cela a provoqué un tas de réactions et m’a servie de leçon. Je me suis dis qu’il faut écouter les gens et transmettre mon message qu’au moment opportun. J’aurais pu m’énerver. Mais c’est en côtoyant les autres qu’on apprend à mieux recevoir le public, leurs questions, et qu’on apprend davantage de leurs expériences.

Pensez-vous que vous affirmer musulmane ait changé quelque chose dans le regard des gens ?

Oui, absolument, c’était vraiment le stéréotype. Je me sens totalement musulmane. Aucun signe extérieur ne vient exprimer ma foie, et c’est parfois plus difficile car je dois me comporter de manière à ce qu’on reconnaissance en moi des valeurs. Certains sont venus discuter ensuite à l’extérieure car on a du nous mettre dehors.

Y’a t-il un thème ou un débat au sein de la SSI qui fut particulièrement controversé ?

Effectivement, sur les coopératives d’ouvriers, le débat était très fort car beaucoup de participants étaient concernés. J’étais aux côtés d’un syndicaliste. Au delà des relations avec le public, les liens tissés entre les organisateurs sont aussi très enrichissants.

Dans une deuxième partie nous aimerions revenir sur la Tunisie. La révolution Tunisienne refait la une des médias suite à l’attribution du Nobel de la paix. Qu’est-ce qui a profondément changé en Tunisie avec cette révolution ?

On sentait de plus en plus que la population avait besoin de s’exprimer, de dire ce qu’elle pensait. C’est devenu incontournable. La société Tunisienne et les jeunes qui ont mené la révolution n’étaient pas préparé à la démocratie. Il y a eu tout un apprentissage sur la vie politique, sur la manière d’exprimer ses choix et de débattre… La révolution c’est aussi voir les grands-mères suivre les débats politiques à la radio, au point que parfois les Tunisiens en ont par dessus la tête. C’est un pays qui a trois milles ans d’histoire et de culture qui ont laissé des traces. La Tunisie est composée d’une population profondément humaniste, mais qui ne fut pas préparée à ce changement de culture politique et économique. Habitués à ce qu’on leur dise « ne fais pas ci, ne fais pas ça », les Tunisiens ont du apprendre à se prendre en mains, à monter des entreprises, et cela va prendre du temps.

Comment vivez-vous la coexistence d’une société éprise de la solidarité internationale, ouverte sur les autres et sur le monde, et une société plus rigide vis-à-vis de l’intégration des population issues de l’immigration ?

Je pense que les choses vont trop vite. Les gens n’ont pas le temps d’assimiler, non pas les personnes, mais ce qui se passe. Les grands de ce monde savez bien qu’un jour ou l’autre, en ne faisant rien pour l’économie, cela allez arriver. Il n’ont rien fais et aujourd’hui, ils nous laisse à notre propre sort. Ce en quoi je crois, c’est au peuple. J’ai entendu hier que des Libyens s’occupent eux-mêmes de couler les bateaux et d’arrêter les passeurs. Si ce genre d’information passe, et montre que les populations se battent, ça peut changer la donne dans l’esprit des gens. Aujourd’hui, on se retrouve dans une ambiance d’après guerre avec des réfugiés qui longent les routes et les pleins chemins. L’Europe a le tort de ne pas avoir su avoir gérer ses frontières. La responsabilité est au monde politique et économique. On a longtemps dit qu’il fallait les aider. Or trouver de l’argent pour les aider c’est un véritable parcours du combattant. Le désespoirs fait qu’à un moment donné, il faut que des pays comme la Tunisie réussissent, qu’on ne les laisse pas tomber, afin que d’autre à côté se disent : si ici c’est possible, on reviendra au pays pour monter une économie. Il faut expliquer aux gens que c’est temporaire, et ne pas amener des réfugiés dans un village sans que personne ne soit au courant. On ne peut pas laisser faire ça. Il faudra du temps, expliquer au gens. C’est une question de logique et de pédagogie.

Des géopolitiques de Nantes au village alternatif de Lyon

Une occasion précieuse pour en apprendre davantage sur les Objectifs du Millénaire

Le vendredi 25 septembre 2015, l’ensemble des pays du monde réuni au sein de l’ONU s’accordaient sur un total de 17 d’objectifs ambitieux à réaliser à l’horizon 2030. À travers ces Objectifs de Développement durable, les 193 membres des Nations Unies s’engagent notamment à éradiquer la faim, éliminer l’extrême pauvreté, promouvoir les énergies propres ou encore lutter contre le réchauffement climatique. Ce plan global succède aux 8 Objectifs du Millénaire pour le développement, approuvé en 2000 par l’ONU. Ils furent caractérisés par la mise en œuvre de mesures sans précédent étalées sur 15 ans, pour relever les défis du 21e siècle. Selon Rolf Traeger, économiste à la Commission des Nations unies pour le commerce et le développement.« les Objectifs du millénaire pour le développement ont exprimé la volonté des États membres des Nations unies d’agir sur les conditions de vie dans les pays du Sud : diviser de moitié le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, éliminer la faim dans le monde, scolariser tous les enfants en âge d’aller en primaire, favoriser l’égalité homme femme, améliorer les conditions sanitaires (santé maternelle, mortalité infantile, eau potable et réseau d’assainissement) et lutter contre le sida et le paludisme ».

Quinze ans après le lancement des Objectifs du Millénaire et alors que l’année 2015 signe leur fin, les progrès considérables enregistrés en terme de réduction de la pauvreté, de scolarisation ou encore de lutte contre le paludisme témoignent d’une dynamique encourageante qu’il s’agit de renouveler. Désormais, le nouveau programme onusien intègre des problématiques plus larges, impliquant l’ensemble des citoyens du monde. En passant de 8 à 17 objectifs, l’ONU étend son champ d’action et aspire à conférer une place essentielle au développement durable. Deux évènements organisés à Nantes et à Lyon nous permettent de nous familiariser un peu plus avec cette dynamique progressiste impulsée par l’ONU.

Le samedi 3 octobre, à l’occasion des Géopolitiques de Nantes – un ensemble de conférences organisées par l’IRIS sur le thème de la géopolitique – plusieurs personnalités directement impliquées dans la mise en œuvre des ODD se sont exprimées devant plusieurs centaines de participants dans le Grand Atelier du Lieu Unique. L’occasion pour eux de revenir sur leur expérience, mais aussi de mettre en exergue les limites d’un tel processus. M. Bonaventure Gbétoho Sokpoh, expert international, a ainsi partagé avec le public plusieurs anecdotes mettant en lumière la faible fiabilité des indicateurs récoltés par les évaluateurs des programmes onusiens auprès de pays en voies de développement. Mike Perose, directeur général d’Action contre la Faim, a souligné que le recul spectaculaire de la pauvreté au niveau mondial cache en réalité de grandes disparités selon les régions, et repose essentiellement sur la croissance économique chinoise et indienne. Les problématiques posées par le nouveau cycle de développement sont nombreuses et les occasions pour le grand public d’en apprendre davantage sont précieuses. Et ce d’autant plus que la composante environnementale des ODD engage l’ensemble de l’humanité, et non plus seulement les pays du tiers-monde. Il est donc d’autant plus indispensable de participer à un événement unique organisé au mois de novembre par la ville de Lyon: la semaine de la solidarité internationale.

En mettant à l’honneur le thème des Objectifs du Millénaire, le réseau Silyon nous invite à participer à une manifestation inédite en faveur de la solidarité internationale. Réunissant des centaines d’acteurs engagés dans le développement durable, l’économie solidaire ou encore le commerce équitable, la semaine de la solidarité internationale constitue une nouvelle opportunité pour sensibiliser le public aux défis environnementaux et sociaux dans un cadre global. Comprenant un ensemble de conférences, d’animations et de festivités, l’évènement veut promouvoir les relations entre les associations, les organisations non gouvernementales, et le public. C’est avant tout un moment de partage, de découverte et de débat sur les grands défis de notre société, notamment climatique. En mettant en perspective les initiatives concrètes en faveur du développement durable, la semaine de la solidarité internationale veut permettre au public de porter un regard plus critique sur les enjeux mondiaux à quelques semaines de la COP21.

Mathis BUIS